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lundi 12 mars 2018

Législatives : La Guyane en marche mais coupée du monde !

Emmanuel Macron et le nouveau député de la Guyane: Si pas le père Noël, qui et quoi alors ?

Le candidat En Marche a donc remporté les élections partielles en Guyane. Lénaïck Adam confirme sa victoire de juin dernier invalidée pour cause de listes électorales non signées. 
Jean-Luc Mélenchon qui avait beaucoup mouillé la chemise en venant soutenir Davy Rimane, apparenté France Insoumise, dénonce une élection à la « Corée du Nord ».  Dans les communes du « fleuve », le vainqueur, Lénaïck Adam a en effet obtenu jusqu’à 98 % des suffrages.
Cette comparaison est insultante pour la Guyane et montre qu’il ne suffit pas de faire un Paris Cayenne en business class pour comprendre les particularités électorales, sociales, culturelles de ce département vaste comme un sixième de la France. Et qui n’est ni Marseille, ni le Venezuela. Il faut faire un peu d’histoire.
La deuxième circonscription de la Guyane, l’Ouest guyanais, est en fait constituée de deux régions bien distinctes.
Le fleuve, le Maroni, où vivent les descendants des esclaves échappés des plantations, il y a 300 ans. A l’époque ils réussirent à former des tribus pratiquement indépendantes. Leur pays était avant tout le fleuve, partagée entre la France d’un côté et la Guyane Hollandaise, aujourd’hui Suriname de l’autre. Leurs tribus conservèrent beaucoup d’éléments de leur culture africaine d’origine. Ils créèrent une langue nouvelle, parlée aujourd’hui par beaucoup au Suriname, le sranan tongo, une langue très différente du créole guyanais ou antillais. On les appelle les bushinengés, les « noirs de la forêt » ou « noirs réfugiés ». Depuis vingt ans, leur poids a considérablement augmenté dans la société guyanaise: Emergence de nouvelles élites par le système éducatif, et en ce sens l’élection d’un « N’djuka », Lénaïck Adam, en est le symbole.  Mais surtout, arrivée massive de nombreux bushinengés fuyant la guerre civile et la pauvreté au Suriname. Il leur suffit souvent de simplement traverser le fleuve. A la maternité de Saint-Laurent du Maroni, l’immense majorité des femmes qui viennent accoucher sont surinamiennes et leurs enfants peuvent souvent bénéficier du « droit du sol », même si, contrairement à ce que pensent beaucoup, il n’est pas automatique.
En dehors de toutes considérations politiques, il n’est donc pas étonnant que Lénaïck Adam, premier candidat originaire de ces tribus, fasse le plein des voix chez lui.
Mais l’autre partie de la circonscription, qui commence aux portes de Cayenne, et regroupe les communes de la côte, les communes des « savanes », avec notamment Kourou, est socialement et culturellement bien différente. C’est la Guyane créole. Mais ce terme doit être compris non pas dans le sens antillais, c’est-à-dire blanc colon, comme la martiniquaise Joséphine, la première épouse de Napoléon, mais noir et métis. Toute la classe politique guyanaise en fait partie : De Christiane Taubira à l’actuel Président de région Rodolphe Alexandre, mais aussi Gaston Monnerville, président du Sénat, Félix Eboué, premier compagnon de la libération, du poète Léon-Gontran Damas ou de de l’écrivain René Maran, premier noir à obtenir le Prix Goncourt en …1921, pour « Batouala » ou « Roman nègre » !
Davy Rimane, le candidat France Insoumise, qui vient d’être battu, est lui-même un créole de Kourou. Et l’histoire de sa famille est celle d’une Guyane qui a été bouleversée par les 4O dernières années.
Jusque dans les années 60, les habitants des communes côtières pratiquaient une agriculture et un élevage extensifs, sur des terres sans vraie propriété, car la Guyane est immense. A l’abolition de l’esclavage, en 1848, les esclaves libérés ne furent pas contraints de rester travailler sur les plantations des békés, contrairement à ce qui se passa en Guadeloupe ou Martinique. Ils prirent leurs canots, remontèrent quelques kilomètres pour défricher un demi hectare ou un hectare pour y faire leur « abattis » et vivre ainsi entre cultures vivrières, chasse et pêche.  Ensuite sont venus l’or, exploités surtout par des immigrés des Antilles, et le bagne, avec pour un certain nombre de « créoles », des boulots de commerçants ou de fonctionnaires à Cayenne ou à Saint-Laurent.
Dans les années 60, l’arrivée du Centre spatial de Kourou a été un premier choc. En expropriant et achetant à bas prix des terres qui effectivement ne valaient pas grand-chose à l’époque, pour y implanter la base de lancement d'Ariane, le gouvernement français a suscité un ressentiment, un sentiment d’injustice qui perdure jusqu’à aujourd’hui.
Et puis il y a l’immigration d’une ampleur que l’on ne peut pas imaginer en métropole. En 30 ans la Guyane est passée de 50 000 à 200 000 habitants, C’est comme si la France de 50 millions d’habitants en avait aujourd’hui… 200 millions.  Les communes sont dépassées, les écoles submergées, le système de santé a explosé, et les infrastructures sont totalement sous dimensionnées. Il n’y a qu’un autre « département » dans la même situation catastrophique : Mayotte…
Tout un symbole d’ailleurs : Pour faire remonter les résultats électoraux, le gouvernement a été obligé de mettre en place en urgence un système de téléphone par satellite. Depuis plusieurs jours en effet la Guyane est coupée du web, internet et téléphone ne fonctionnent que par intermittence, le câble sous-marin qui la relie au reste du monde, ayant été accidentellement coupé. Il faudra plusieurs semaines pour le réparer.
Au pays d’Ariane, on croit rêver ou plutôt cauchemarder.
A la fin de l’année dernière, Emmanuel Macron avait prévenu qu’il n’était pas le Père Noël. Certes. Mais à défaut de cadeaux, il faudra un miracle, ou en tout cas, beaucoup, beaucoup, beaucoup de volonté et de financements pour que la Guyane ne soit plus française entièrement à part, mais à part entière.
« Désastre parlez-moi du désastre, parlez-m'en. » écrivait le poète Léon-Gontran Damas, un des pères de la négritude avec Césaire et Senghor. Il parlait de son éducation. Aujourd’hui cela s’applique à sa Guyane natale.





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